• Chapitre 6

    ( Les conversations en anglais sont en italique )


    Une semaine s’était écoulée. Elle avait semblé durer une éternité. Nathan se levait tous les matins la boule au ventre et il se demandait un peu plus chaque jour s'il n’avait pas fait la plus grosse bêtise de sa vie en acceptant ce job. Araya avait beau tout faire pour lui remonter le moral, on voyait un désespoir constant dans ses yeux. Ce qui lui donnait autant le cafard, c’est qu’il avait cette terrible impression qu’il y aurait toujours quelque chose pour le rendre malheureux, qu'importe où il essayait de fuir. Et même si Araya ne s’en rendait pas compte, elle était d’un énorme soutien et si au bout de deux jours Nathan s’arrêta de pleurer, c’est parce qu’elle avait réussi à trouver les bons mots pour soulager en partie sa peine.

    Nathan laissa comme à son habitude son vélo une ruelle plus loin. Perdu dans ses pensées, il ne fit pas attention et bouscula un de ses collègues :

    -Regarde où tu vas, putain !

    L’homme déjà d’un certain âge souffla entre ses dents d’agacement et tourna les talons. Voilà une des choses qui fâchait le plus Nathan, le fait que certaines personnes de son département ne lui parlaient qu’en anglais mettant ainsi encore plus de distance être eux. Mais à côté il sentait que d’autres étaient plutôt curieux et que ça n’était pas obligatoirement par choix qu’ils le repoussaient. Ça n’était que des spéculations mais Nathan se demandait tout de même si son patron n’avait pas mis la pression à ses employés le concernant. Mais la question restait la même : pourquoi ?

    Pourquoi lui faisait-il vivre un enfer ? Il lui donnait du travail pour deux, le faisait passer pour un menteur auprès de ses confrères, de façon subtile le rabaissait. Décidément, Nathan n’y comprenait rien.

    Kawin avait tout pour lui : il était bel homme, avait apparemment une femme superbe, deux beaux enfants doués pour les études, il avait un bon salaire. Une vie de prime à bord parfaite. Alors pourquoi cet acharnement ? Peut-être avait-il la tare de ne pas aimer les étrangers ?

    Dans tous les cas, cette situation n’était pas soutenable pour Nathan. Il avait fini par appeler son patron et ami la veille pour lui expliquer toute l’histoire. Il lui avait demandé de lui trouver une place ailleurs quitte à rentrer en suisse. Il avait bien sur précisé qu’il finirait ses six mois de test pour ne pas l’embarrasser. Il en avait déjà tant fait pour lui, il ne voulait pas le lâcher alors que c’était un de ses seuls vrais amis. Ce qui le rendait amer, c’est que ça donnerait une belle occasion à sa mère de le dénigrer encore un peu plus.

    L’heure de manger sonna, son ventre vide gargouillait, il avait de la peine à manger le matin mais il faisait un maximum d’efforts pour ne pas inquiéter Araya. Comme à son habitude, il prit son plat préparé la veille par les soins de la vieille dame et alla se cacher derrière le bâtiment. Comme à chaque fois, il mangeait seul. En ouvrant le sac il n'y trouva pas de services, il le referma et se mit debout. Sur le chemin,  il bouscula son patron et celui-ci lui renversa son café dessus :

     -Un peu de sérieux, regardez où vous marchez bon sang.

    Il lui tendit son gobelet en plastique maintenant vide :

    -Mettez ça à la poubelle et arrangez-vous. Si un client important arrive et qu'il vous voit avec cette allure, que va-t-il penser de notre entreprise à cause de vous !

    Nathan prit le verre avec un sourire forcé et le contourna. S'il avait eu un couteau dans sa poche, il aurait pu l’égorger sur place. Il serra si fort le gobelet en plastique qu’il explosa littéralement. Il jeta les débris dans la poubelle qui se situait à quelques mètres de là :

    -Connard, tu es trop con pour le faire tout seul !

    Une des choses qui permettait à Nathan de ne pas devenir fou, c’était qu’il pouvait insulter à sa guise tout le monde bien haut en français, personne ne le comprenait, c’était d’une jouissance incroyable. Il se remit en route mais arrivé au niveau de l’accueil, il s’immobilisa. Quelque chose avait attiré son attention. Deux hommes travaillant avec lui venaient de bousculer un jeune qui fit tomber des documents qui s’étalèrent au sol. Le garçon ne riposta pas et baissa la tête. Il se pencha en avant dans le but de ramasser ses papiers mais le plus vieux des hommes mit son pied dessus et rigola bruyamment. Le sang de Nathan ne fit qu’un tour, il savait bien qu’en allant aider l’inconnu, il n’arrangerait pas les relations déjà tendues avec ses collègues mais ayant un grand sens de la justice, il ne pouvait pas laisser passer ce genre de comportements inadmissibles. Et de toute façon , le contact avec les autres ne pouvait pas être pire :

    -Hey, vous avez besoin d’aide ?!

    Il accéléra le pas et repoussa l’homme de toutes ses forces ce qui le fit presque tomber, il se rattrapa de justesse au mur et le pointa du doigt :

    -Toi le nouveau, tu restes en dehors de ça.

    Nathan sera les poings et dut retenir une terrible envie de lui mettre un pain dans la figure :

    -Et quoi ? Je devrais te regarder t’en prendre à quelqu’un qui n’a rien fait. Il ne faisait que passer par là !

    L’homme éclata de rire :

    -Tu as vu comme il est affreux avec sa face ? C’est un monstre et il ne mérite aucun respect de ma part. Il n’avait qu'à ne pas se présenter devant moi, il me dégoûte !

    L’ami de l’homme voyant Nathan devenir rouge de rage préféra partir :

    -Viens, ne nous battons pas ici. Tu vas t’attirer des ennuis pour rien.

    L’homme en colère cracha aux pieds de Nathan avant de se dégager le bras qu’agrippait son ami et parti. Il défonça presque le bouton de l’ascenseur en appuyant dessus, il jeta un dernier coup d’œil meurtrier vers Nathan et le jeune garçon puis rentra dans la cabine. Nathan ne le quitta pas du regard avant que celui-ci disparaisse pour enfin se tourner vers la victime qui ramassait d’une main tremblante ses papiers. Il se mit accroupi pour l’aider, le garçon tourna la tête pour cacher le côté droit de son visage, gêné :

    -Je n’ai pas besoin de ton aide, va-t’en !

    Nathan n'eut même pas le temps de l’arrêter qu’il était déjà loin. La scène s'était passée tellement vite qu’il avait de la peine à mettre au clair ses idées. Il se redressa sans lâcher du regard le couloir désormais vide. Il sursauta quand son téléphone sonna, la pause était finie. Perturbé, il marcha machinalement vers l’ascenseur. Avec tout ça, il n’avait pas pu manger mais il n’avait de toute façon plus faim.

    Heureusement, cet après-midi-là, il n’avait rien à faire en extérieur. Il avait juste une multitude de dossiers à lire. Il ne pouvait s’empêcher de revoir encore et encore la scène, surtout ses yeux. Il n’avait jamais vu une si grande tristesse sur un visage. Il avait eu la sensation de voir tous les malheurs du monde portés par une unique personne et il se revoyait lui, seul dans sa chambre en pleurs. Une pensée lui pinça le cœur :

    -Je crois que ce garçon se sent aussi seul que moi..

    Ses yeux se remplirent de larmes et sa gorge se noua. Il ne devait surtout pas pleurer devant tout le monde, en aucun cas il ne devait se montrer faible devant ces gens au risque de leur donner l'opportunité de se moquer de lui. Mais sans vraiment l’expliquer, Nathan s’était égoïstement senti heureux de savoir qu’il n’était pas seul au monde dans cette situation. Peut-être que cela lui faisait juste du bien de savoir que d’autres étaient en capacité de comprendre ce vide dans son cœur. Quoi qu'il arrive, il voulait le revoir. Son image était ancrée dans sa tête et ne voulait plus la quitter. Mais voilà, Nathan ne savait pas du tout qui était cette personne. Il avait clairement l’air d’un employé de Bridget Compagnie mais il ne l’avait jamais croisé. Il leva les yeux au plafond et soupira avant d’avoir l’idée toute simple d’aller demander à la secrétaire de l’accueil principal. Elle le lui dirait peut-être, il n’avait jamais eu d’altercation avec elle. En tous cas, leur relation n’était pas mauvaise.

    Il s’approcha de la femme avec le sourire le plus charmeur possible espérant que cela fasse son petit effet :

    -J’ai croisé un jeune homme à midi et comme il m’a rendu service je souhaiterais le remercier mais malheureusement, je ne sais pas où le trouver.

    -Donnez-moi son nom, je verrai ce que je peux faire.

    Nathan se gratta la nuque avec un sourire timide :

    -Je ne sais pas son prénom.

    Elle rigola doucement :

    -Je n’arrive pas encore à lire l’avenir, il va falloir me donner un petit coup de pouce.

    -Je n’ai pas bien eu le temps de le voir, mais il me semble qu’il avait une marque sur le visage.

    Son expression se détendit d'un coup, il n’y avait qu’une personne qui pouvait correspondre à cette description. Une grande marque sur le visage, ça n’était pas commun :

    -Je pense qu’il s’agit de notre archiviste, Kai. Vous le trouverez sans nul doute dans la pièce des archives au sous-sol. En face de la pièce aux chaises orange, il y a des escaliers. Empruntez-les, impossible de se perdre.

    Elle se racla la gorge en fronçant les sourcils :

    -Je dois quand même vous prévenir, il n’est pas très sociable.

    La bouche de Nathan se transforma en un énorme sourire et il dit d’une voix enjouée qu’il n’avait pas eu depuis longtemps :

    -J’ai cru comprendre.

    Il partit presque en courant vers les escaliers. Il s’arrêta avant la première marche et fit un signe de la main à la femme :

    -Je vous en dois une, demandez-moi en cas de besoin.

    Elle le regarda surprise, elle ne comprenait pas vraiment cet élan de joie soudain mais après tout, ça n’était pas son problème.

    Il arriva devant une porte en bois clair qui était fermée. Il toqua une première fois mais ne recevant aucune réponse tapa une deuxième fois un peu plus fort. Elle s’ouvrit tellement fort que le vent fit voler ses cheveux :

    -Quoi ?!

    Nathan et l’inconnu se regardèrent dans les yeux sans un mot. Nathan resta bloqué sur son visage. Du coin de son œil droit partait une énorme cicatrice qui coupait sa joue jusqu’au milieu de son menton. Mais plus que cette balafre, il remarqua sa beauté, il n’avait jamais vu une si belle personne. Mais il n’y avait pas que ça, l’énergie qu’il dégageait malgré son agacement palpable de l’instant était si douce et apaisante. Nathan eut la sensation de se retrouver dans une grande bulle de paix. Enfin, ça s’était avant que le garçon n’ouvre la bouche :

    -C’est toi, je te reconnais. Que veux-tu ? Y a rien pour toi ici, pars !

     

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